L’agriculture de conservation (AC) peut constituer une alternative pour tenir le pari de l’intensification écologique de la production agricole en Afrique de l’Ouest et du Centre (AOC). Mais l’adoption de l’AC entraine des changements sociotechniques importants pour les producteurs d’AOC dont les représentations et pratiques agricoles sont majoritairement antagonistes à ses principes (travail minimal du sol, paillage et diversification des cultures). Le défi pour ses promoteurs (recherche-développement) est de mobiliser une approche susceptible de faciliter les processus d’apprentissage des producteurs sur l’AC.
L’approche Champ école des producteurs (CEP) a été retenue par African Conservation Tillage Network (ACT) et ses partenaires pour la mise en œuvre des projets de recherche – développement visant la promotion de l’AC en zone semi-aride du Burkina Faso. Le CEP peut être défini comme une méthode d’apprentissage par la pratique favorisant le développement et l’acquisition de nouvelles connaissances à partir de l’observation, la discussion, l’analyse, la prise de décision collective et l’évaluation de leurs résultats.
Le choix du CEP fut fondé sur l’hypothèse que cette approche, de par sa nature participative mobilisant les savoirs des producteurs dans la génération / l’adaptation des innovations allait faciliter le développement de leurs compétences et entrainer des dynamiques d’apprentissage et de vulgarisation susceptibles de se poursuivre au-delà de la durée de vie du projet. Après cinq années de fonctionnement des CEP – AC, les premiers résultats de terrain viennent conforter cette hypothèse.
Les CEP –AC mis en place comprenaient des tests démonstratifs ayant pour objectifs principaux de mettre en évidence les avantages comparatifs de l’AC et de ses principes (appliqués isolément et de façon combinée) par rapport aux pratiques traditionnelles. Tout au long de la campagne agricole, des séances hebdomadaires d’analyse de groupe portant sur l’analyse comparée du développement végétatif des plantes, leur état sanitaire et leur vulnérabilité aux aléas (poche de sécheresse, attaques des bio-agresseurs, inondations etc.) sont conduites par le conseiller agricole qui joue le rôle de facilitateur. Ces séances de groupe permettent aussi de rechercher de façon collective et d’appliquer des solutions appropriées aux éventuelles contraintes identifiées. Après les récoltes, les performances techniques (rendements) et économiques (temps de travail, marge brute) sont déterminées et utilisées pour comparer les différents systèmes testés. Une analyse détaillée des différents tests est conduite permettant d’identifier les bénéfices ou les contraintes par rapport aux pratiques traditionnelles. Globalement, il s’agissait d’un processus itératif de nature à faire progresser les connaissances des producteurs tout en fournissant des éléments aux conseillers agricoles et à l’équipe des chercheurs pour affiner les systèmes d’AC en cours de développement.
Un intérêt variable des producteurs pour l’approche CEP
Les trois conditions pour l’adhésion des producteurs au CEP sont d’être un producteur reconnu au village, d’être disponible pour participer aux travaux collectifs et de s’engager à partager les expériences aussi bien avec les membres qu’avec les non-membres du CEP. La taille du groupe a été limitée à 25 chefs d’exploitations pour des raisons d’efficacité et de maîtrise des processus d’apprentissage. Les raisons de l’adhésion des producteurs au CEP sont variables. 70% y viennent pour rechercher des alternatives pour la gestion durable de leurs terres et l’amélioration de la sécurité alimentaire de leurs exploitations. D’autres producteurs ont adhéré au CEP sur incitation du conseiller agricole (18%) ou dans l’espoir de recevoir un appui matériel du projet (12%).
Les jeunes, les femmes mariées, les grands exploitants et les exploitants très âgés sont sous-représentés dans le CEP. La difficulté à faire travailler dans le même groupe des femmes mariées et des hommes qui ne sont pas leurs époux ou proches parents est la première cause de la sous-représentativité des femmes. Par ailleurs, compte tenu de l’organisation patriarcale de la société, les femmes sont parfois complexées pour mener des discussions ou donner leurs avis sur un sujet en présence des hommes. Les jeunes préfèrent à s’adonner à des activités comme l’orpaillage et le commerce qu’ils trouvent plus rémunératrices que l’agriculture. Cette attitude est d’autant plus courante que l’accession au statut de chef d’exploitation dans cette zone se fait tardivement. Les grands exploitants rechignent à participer dans des processus d’apprentissage ensemble avec des petits producteurs, ils trouvent que les centres d’intérêt sont différents et qu’ils n’ont pas grand-chose à apprendre des autres. Enfin, les producteurs plus âgés sont absents parce qu’ils estiment ne plus avoir assez de force physique pour participer aux travaux collectifs.
Des niveaux de connaissances relativement élevés, mais une adoption encore faible
Le niveau de connaissances des 53 producteurs membres des CEP agriculture de conservation (CEP-AC) des villages de Yilou et Sindri (province du Bam, Burkina Faso) sur l’AC et ses différents principes a été évalué à l’aide d’une grille de notation. Des notes allant de 0 à 3 ont été attribuées sur la base des réponses aux questions. Quatre niveaux de connaissance ont été distingués (Tableau 1). Par ailleurs, des entretiens ont été conduits auprès des producteurs sur leur appréciation de l’approche CEP et les stratégies qu’ils envisagent pour poursuivre les dynamiques d’apprentissage et de diffusion de l’AC après le projet.
Tableau : les projets nationaux du SAWAP
Tableau 1. Les indicateurs de niveau de connaissance de l’AC et de ses principes
L’évaluation a montré que les producteurs membres des CEP ont une connaissance relativement bonne des pratiques d’AC, avec une note globale 2,1 sur 3 (Tableau 2). Le travail minimal du sol est la pratique pour laquelle le niveau de connaissance des producteurs est encore le plus faible, soit 1,6. La majorité des producteurs n’arrivent pas à bien expliquer les bénéfices de cette technique. Ils en voient surtout les contraintes, ceci d’autant plus qu’il a été démontré dans la zone que le travail minimal du sol appliqué isolément affecte négativement les performances techniques et économiques des cultures. La diversification des cultures notamment au travers des associations culturales est la technique la mieux maîtrisée par les producteurs.
Tableau : les projets nationaux du SAWAP
Tableau 2. Niveau de connaissance et intensité d’application des différents principes de l’AC par les producteurs
Le décalage entre le niveau de connaissance et l’intensité d’adoption traduit des contraintes à l’application de l’AC. Les difficultés les plus couramment relevées sont : l’insuffisance des résidus de cultures pour assurer le paillage du sol, la pénibilité des travaux de semis et d’entretien des cultures et l’enherbement rapide des champs.
Une diffusion des connaissances et pratiques déterminée par l’intensité d’adoption
Les membres du CEP diffusent les pratiques de l’AC en moyenne auprès de six personnes qui sont généralement des proches parents ou des amis. Le nombre de personnes auprès desquelles un membre du CEP vulgarise l’AC est déterminé par son niveau de connaissances mais aussi et surtout par son intensité d’application de l’AC. Au sein du village, la mise en œuvre des pratiques d’AC est considérée comme une évolution importante qui confère aux producteurs une certaine reconnaissance et suscite l’admiration de ses pairs. Ces derniers seront ainsi plus enclins à solliciter des conseils et informations auprès de ceux qui disposent de vastes superficies en AC que d’aller vers ceux dont l’intensité d’adoption est encore faible. Une consolidation des compétences des producteurs disposant de grandes superficies en AC pourrait les transformer en formateurs relais mobilisables pour la diffusion à grande échelle.
Des difficultés pour consolider les acquis de l’approche CEP
Les producteurs apprécient positivement l’approche CEP notamment parce qu’elle leur permet d’apprendre rapidement de nouvelles techniques tout participant effectivement au développement de nouvelles connaissances. Cette efficacité du CEP tient en grande partie à la forte interaction entre les producteurs et les conseillers agricoles et les chercheurs. Les difficultés évoquées portent sur le retard dans le démarrage des travaux car la plupart des membres préfèrent souvent commencer les travaux sur leurs parcelles individuelles avant de rejoindre les travaux collectifs dans le champ école. Ce retard dans la réalisation des travaux engendre des résultats médiocres souvent en deçà de ceux des champs individuels. Cela tend à montrer que si le CEP est un cadre intéressant pour l’apprentissage et la diffusion des connaissances, il ne semble pas approprié pour l’élaboration des références techniques fiables (rendements, marges brutes) qui demandent des tests avec plus de rigueur dans la mise en place et le suivi. Par ailleurs, certaines difficultés comme la gestion de la biomasse à l’échelle de parcelle et du terroir ne sont pas bien mis en évidence au niveau du CEP.
En perspective, plus de 80% des producteurs souhaiteraient que la dynamique d’apprentissage se poursuive après l’arrêt du projet. Ils pensent que la pérennisation des acquis du CEP pourrait se faire d’abord par la transformation du groupe en association. Au sein de ce nouveau groupe, le choix des thèmes à traiter sera décidé par les membres tandis que la facilitation des séances de travaux sur le champ collectif sera assurée par un producteur choisi par ses pairs sur la base du niveau de connaissance et d’application des pratiques d’AC et surtout de la capacité d’analyse des résultats et de mobilisation des producteurs. Quant à la prise en charge financière des activités (intrants, indemnité du producteur facilitateur), les producteurs pensent qu’elle sera couverte par les revenus tirés de la vente des productions et les cotisations des membres.
Les stratégies envisagées par les producteurs pour assurer la pérennisation du CEP paraissent peu réalistes car d’une part il se pose la question du renouvellement des compétences du paysan formateur et de sa prise en charge. De même la problématique du financement reste entière, très peu de producteurs étant effectivement disposés à contribuer financièrement pour la prise en charge des activités (acquisition d’intrants, rémunération du conseiller formateur). En revanche, il apparaît que d’autres approches comme la formation de paysan à paysan peuvent prendre le relais de l’AC notamment pour la diffusion à grande échelle.