Stéphane Le Foll, ministre français de l’Agriculture, expose dans cette tribune en quoi l’agro-écologie constitue selon lui la meilleure réponse aux défis — sociaux, économiques ou environnementaux — auxquels l’agriculture doit aujourd’hui répondre, au Nord comme au Sud.
Stéphane Le Foll est ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt en France. Il est à l’origine du projet agroécologique pour la France lancé en décembre 2012 et décliné depuis en de nombreuses actions, avec pour objectif l’engagement de la majorité des agriculteurs français dans l’agro-écologie à horizon 2025.
Contact : Marine Renaudin, chargée de mission Sécurité alimentaire – Stratégies internationales de développement au sein du Bureau du développement et des organisations internationales (DGPAAT) du MAAF (marine.renaudin@agriculture.gouv.fr).
Tout d’abord, je voudrais saluer l’initiative de la revue Grain de sel, de nous permettre de faire porter la voix du changement de pratiques agricoles vers l’agro-écologie, en France comme en Afrique.
En cette année internationale de l’agriculture familiale qui nous donne l’occasion, et je dirais même le devoir, de réfléchir à nos modes de production agricole, cette voix de l’engagement pour un changement systémique et global de nos pratiques doit être forte.
Nous avons engagé en France, depuis 2 ans, une réflexion sur notre agriculture via la mise en place du projet agro-écologique, qui se veut mobilisateur, collectif et citoyen. Le projet agro-écologique que nous menons, c’est cette idée d’atteindre pour l’ensemble des exploitations agricoles la performance à la fois économique, environnementale et sociale.
C’est un projet global qui mobilise tous les acteurs de l’agriculture et des filières, les administrations du ministère de l’agriculture, les organismes de développement agricole, les porteurs de projets de terrain, et qui sensibilise les citoyens. Il constitue l’axe structurant de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui a été adoptée le 9 septembre 2014.
L’enjeu est immense. Il est réalisable et réaliste, ici et ailleurs. Les défis auxquels l’agriculture doit répondre, qu’ils soient sociaux, économiques ou environnementaux, concernent les agriculteurs du monde entier. À l’instar des autres continents, l’Afrique est confrontée aussi à la question de la durabilité et de la compétitivité de ses agricultures, dans un contexte mondial de volatilité des prix agricoles qui les déstabilise et de pression croissante sur ses ressources naturelles.
Les agricultures africaines ont su développer un savoir-faire agronomique permettant de produire dans des conditions naturelles parfois très difficiles. Je songe aux pays sahéliens, où la ressource en eau est rare et les sols fragiles. L’association des cultures, céréales et légumineuses, l’agroforesterie, la gestion des pâturages, ont permis à ces agricultures d’élever leur niveau de production. Face aux menaces qui pèsent sur les ressources naturelles, il convient d’optimiser ces savoir-faire afin de sécuriser les productions agricoles et de garantir un revenu aux producteurs africains.
Je suis persuadé que l’approche agro-écologique est la bonne réponse à l’enjeu de « produire plus avec moins » car elle vise à développer des systèmes de production qui combinent les performances économique et environnementale, des systèmes qui répondent à l’enjeu de production sans dégrader ou épuiser les ressources, des systèmes qui s’appuient sur des solutions innovantes adaptées à chaque contexte même si les leviers utilisés sont communs.
Ces systèmes de production ont en commun plusieurs points. Tout d’abord une approche « système ». Il est essentiel de raisonner l’ensemble des éléments constitutifs du système de production globalement, de chercher à maximiser les synergies entre eux, de prendre en compte toutes les dimensions de l’activité et toutes les performances. Ensuite, le fait de s’appuyer sur les services rendus par les agro-écosystèmes, de valoriser les régulations biologiques positives. Il s’agit d’utiliser au maximum la nature comme facteur de production, tout en maintenant ses capacités de renouvellement. Enfin, de renforcer l’autonomie des exploitations en essayant autant que possible de boucler les différents cycles bio-géo-chimiques : le cycle de l’eau, celui de l’azote, etc. La combinaison de ces différents leviers permet de produire de manière plus rentable tout en diminuant les pressions sur l’environnement et en préservant les ressources naturelles (eau, énergie fossile, éléments minéraux…). C’est une approche ambitieuse et innovante, pleinement adaptée aux enjeux du 21e siècle. Elle peut permettre le développement d’une agriculture économiquement viable et performante, répondant également aux demandes de préservation de l’environnement exprimées par des citoyens.
C’est une approche susceptible de concerner tous les pays. Je me réjouis pour cette raison que la FAO, à l’initiative de la France, ait décidé de lancer un programme de 3 ans consacré à l’agro-écologie. Un symposium organisé à Rome les 18 et 19 septembre 2014 a été l’occasion d’échanger sur les différentes pratiques et projets à travers le monde.
Je souhaite que cette dynamique que nous portons sur l’ensemble du territoire, sur l’ensemble des exploitations et sur l’ensemble de systèmes techniques, puisse être accueillie favorablement par nos partenaires africains, d’une manière bien sûr adaptée par chacun à son contexte.
Les enjeux en termes d’utilisation des produits phytosanitaires, de l’eau, des engrais et du carburant, d’organisation sociale, d’enseignement, de recherche, d’application de la politique agricole, concernent tous les pays qui ont compris que nous devons produire plus et mieux.
Ainsi nous réussirons ensemble à relever le défi de cette agriculture innovante, productive, rassembleuse et respectueuse de l’environnement, et construire l’agriculture de demain.